Ses hypermarchés vont préparer les plats livrés par cette start-up aux salariés de sociétés partenaires.
Le virage stratégique est révélateur des bouleversements de la distribution alimentaire. Carrefour, qui s’y était refusé jusqu’ici, s’invite sur le marché de la livraison de repas ; en plein essor depuis des années, celui-ci prend des parts d’estomac aux distributeurs traditionnels, en centre-ville surtout.
Pour se diversifier et adapter son offre aux nouvelles habitudes de consommation des Français, le groupe, qui développe par ailleurs comme ses rivaux une offre de restauration au cœur de sesmaga-sins, a acheté 60 % de Dejbox. Cette start-up née en 2015 sert 400 000 repas par mois dans les agglomérations de Lille, Lyon, Paris, Bordeaux, Nantes et Grenoble.
« Cette acquisition, qui reflète la volonté de Carrefour de devenir le leader de l’e-commerce alimentaire, est stratégique, assure Amélie Oudéa-Castera, directrice du digital et de l’e-commerce du groupe. Elle va nous permettre d’investir le segment en forte croissance de la livraison de repas avec une offre axée sur la qualité et accessible à tous. » Dejbox complète l’éventail de start-up d’e-commerce alimentaire acquises par Carrefour ces dernières années : Croquetteland (petfood), Greenweez (leader du bio online en Europe) et Quitoque (leader des paniers repas à cuisiner). « Le chiffre d’affaires cumulé de nos start-up dépassera 500 millions d’euros en 2022 », selon Amélie Oudéa-Castera. De quoi contribuer à l’objectif du groupe à cet horizon : 4,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans l’alimentaire commandé en ligne.
Moins généraliste que les géants UberEats, Deliveroo et Just Eat, intermédiaires entre leurs clients et les restaurants, Dejbox se positionne sur un créneau aussi porteur mais moins concurrencé : celui de la livraison de repas… au bureau, avec des plats à réchauffer sur place. La start-up (plus de 10 millions de chiffre d’affaires en 2019) se fournit auprès de traiteurs partenaires et livre les salariés de zones périurbaines, où l’offre de restauration (collective et commerciale) est réduite. Contrairement à Nestor, positionné sur ce créneau, et Frichti, qui a étoffé son offre il y a peu avec la livraison au bureau, Dejbox n’est pas accessible à tous les salariés. Seuls ceux travaillant dans une société référencée peuvent commander.
Plan ambitieux
La start-up optimise ainsi ses parcours de livraison, ce qui lui permet de livrer à un coût très bas et de vendre un repas au prix d’un ticket-restaurant. Autre différence avec la plupart de ses rivaux, qui ont recours à des travailleurs indépendants : les livreurs Dejbox sont salariés de la start-up. Sur 310 employés, 140 sont préparateurs-livreurs. « Contrairement à nombre d’acteurs de la livraison de repas, elle est déjà rentable », précise Amélie Oudéa-Castera.
Carrefour imagine beaucoup de synergies avec Dejbox, qui permettront à la start-up d’accélérer son développement. Les cuisines des hypers du groupe pourront préparer des repas. Présente dans les périphéries d’agglomérations de plus de 100000 habitants, Dejbox partirait ainsi à la conquête des villes de 20 000 habitants. Les employés de la start-up pourraient aussi livrer des dîners à réchauffer à la maison et des courses commandées sur le site de Carrefour. « Nous avons choisi de nous adosser à Carrefour car c’est le meilleur partenaire pour poursuivre le plan ambitieux de développement de Dejbox et offrir au plus grand nombre, via le digital, une alternative abordable, durable et savoureuse au sandwich ou au repas préparé à la maison », confient Adrien Verhack et Vincent Dupied, les deux cofondateurs de Dejbox. Alors que le nombre de repas pris hors domicile progresse et qu’un nombre croissant de foyers se fait livrer des plats plutôt que de les cuisiner eux-mêmes, la restauration représente pour les distributeurs « un relais de croissance, en volume et en marge », explique David Vidal, associé chez Simon Kucher Partners. « Hors de Paris, la livraison de plats à domicile reste encore marginale, et impacte peu les résultats des distributeurs, estime le consultant. Mais ceux-ci se doivent de réagir avant que le phénomène ne prenne plus d’ampleur. Et livrer de la restauration, c’est aussi un facteur différenciant d’Amazon. »