Grande distribution : l’heure du repli sur soi

Rédigé le 15/01/2020

Les géants historiques de la grande distribution alimentaire, en panne de croissance dans leur propre pays, cèdent peu à peu leurs activités aux pays émergents.

« Mieux vaut une petite maison pleine de vivres qu’une grande maison pleine de vent. » Ce proverbe breton, les géants historiques de la grande distribution alimentaire ont été forcés de l’appliquer. Eux qui s’étaient lancés dans une vague d’expansion internationale entre les années 1980 et le tout début des années 2000, incités par la saturation de leurs marchés domestiques.

Le Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii) expliquait ce développement géographique, fin 2012, dans une étude, par « l’ouverture et la croissance des marchés mais aussi l’évolution des modes de consommation, en particulier dans les pays émergents où la grande distribution était encore peu présente il y a dix ans ». A cette époque, l’institut notait que « les enseignes françaises sont particulièrement bien positionnées sur ces marchés émergents. Elles représentent 66 % des ventes de la grande distribution au Brésil, 46 % en Chine et 22 % en Russie ».



Changement de stratégie

Avec, pour les groupes, le double objectif « de rechercher à l’étranger la croissance extensive que la saturation du marché français ne permettait plus et de créer des synergies et des complémentarités au sein d’un même groupe », écrivait le Conseil économique, social et environnemental (CESE) dans un rapport sur « les circuits de distribution des produits alimentaires », en mai 2016.

Terminée la conquête du monde, l’heure est aujourd’hui au repli sur soi. Premier distributeur britannique, Tesco a annoncé, en décembre 2019, réfléchir à la vente de ses activités en Thaïlande et en Malaisie, après s’être retiré de Corée du Sud en 2015 et de Turquie en 2016. Le français Carrefour a, de son côté, cédé récemment la majeure partie de sa filiale en Chine. Après avoir quitté les Pays-Bas en 2009, la Thaïlande, Taïwan et le Vietnam en 2016, Casino vient de vendre ses activités dans l’océan Indien (La Réunion, Mayotte, l’île Maurice et Madagascar), dans le cadre de son processus de désendettement.

La cession des activités italiennes d’Auchan au groupe transalpin coopératif Conad, annoncée en mai 2019 en même temps que son départ du Vietnam, est une parfaite illustration de ce changement de stratégie : présent depuis trente ans en Italie, Auchan a fait 3,6 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018, avec près de 1 600 magasins. Mais dans ce pays – qui a traversé une profonde crise de la consommation –, la structure des circuits de distribution est radicalement différente de la France : un marché extrêmement régionalisé dans lequel les entreprises coopératives réussissent mieux que les sociétés intégrées. « Ce qui se fait à Milan ne peut pas se reproduire à Catane, les habitudes alimentaires et culturelles ne sont pas les mêmes. Et à Venise, les clients attendent des produits vénitiens », expliquait-on chez Auchan lors de cette décision. Le groupe ayant pourtant, il y a peu, implanté un tout nouveau concept pilote d’hypermarché à Turin. Avant de conclure : « Ça fait huit ans qu’on perd de l’argent, Il faut se concentrer sur les vrais sujets ».

Redresser la barre sur leur marché domestique

Et les vrais sujets convergent tous sur l’urgence de redresser la barre sur leur marché domestique. Le Royaume-Uni pour Tesco, attaqué par les discounteurs allemands et l’e-commerce, et le marché français pour les Casino, Carrefour et consorts. Mais pour cela, il faut redéployer d’importants moyens financiers.

Car à la différence des décennies passées, en France, la consommation ne s’est jamais relevée indemne des années de crise. L’activité continue de décroître dans les grandes surfaces alimentaires, relevait l’Insee pour l’année 2018, rappelant que ces dernières représentent toujours près des trois quarts des ventes des magasins alimentaires. Autrefois reines en leur royaume, les grandes surfaces historiques sont attaquées de tous côtés. Les nouveaux rois des prix bas – les anciens hard-discounteurs Lidl et Aldi ou les géants du discount comme Action – venus chasser sur leurs terres leur font une concurrence exacerbée, contre laquelle elles n’ont d’autre choix que d’accroître leurs investissements promotionnels.

Modification du comportement du consommateur

Elles font face aussi à une modification du comportement du consommateur qui réduit leurs ventes, surtout dans les hypermarchés. Celui-ci n’hésite plus à fragmenter ses sources d’approvisionnement, fréquente des magasins spécialisés dans le bio, des boutiques de producteurs… Selon le Credoc, « en 2017, plus d’un Français sur deux (57 %) a fait ses courses dans plus de cinq circuits de distribution alimentaires, contre 39 % en 2012. Cette augmentation s’explique en partie par une recherche de qualité, qui invite de fait à une multiplication des lieux d’achat en fonction du produit recherché, plutôt qu’à la fréquentation d’une seule enseigne généraliste ». Huit ans de recul pour les catégories non alimentaires (textile, équipement de la maison, loisirs) en hypermarchés entre 2010 et 2018, soit 30 % de chiffre d’affaires en moins, a calculé l’institut Nielsen.

Pour contrer le mouvement, les géants historiques de la distribution n’ont pas d’autre choix que de réinvestir dans leur parc de magasin, souvent vieillissant, souvent trop grand, souvent moins bien placé aujourd’hui qu’hier à cause des déplacements de population.

Mais une autre évolution, technologique cette fois, oblige les grands noms de la distribution alimentaire à engager d’importants moyens financiers. Mieux connaître ses clients en emmagasinant ses données comportementales, lui permettre d’encaisser lui-même ses achats, développer la vente à distance sous forme de drive… et tenter de contrer les velléités des géants du numérique, comme Amazon. Mais la remise à niveau et les développements du « magasin de demain » nécessitent des investissements pharaoniques et des sommes qui auraient été, en temps normal par le passé, consacrées à redresser des activités dans les pays en crise comme l’Italie, l’Espagne ou la Russie.