Grande distribution : le lent déclin de l’emploi

Rédigé le 20/01/2020

Affecté, comme ses concurrents, par la mutation en cours, Auchan présentera aux syndicats un plan de départ.



Après Carrefour, Conforama et Castorama, Auchan sera-t-il le prochain à tailler dans ses effectifs ? Les différentes instances du personnel du groupe de distribution en France sont convoquées mardi 14 janvier : en jeu, notamment, la question d’un possible plan de départ – révélé par le Parisien –, lié à des restructurations internes. Et plus précisément, au siège du groupe, dans les Hauts-de-France, qui emploie 3 000 personnes sur les 72 000 salariés que compte l’Hexagone. Les services d’appui d’Auchan Retail France (comptabilité, systèmes d’information, marketing…) et la direction des achats internationaux seraient plus spécifiquement concernés.

De plus, la foncière Ceetrus (ex-Immochan) pourrait être rapprochée de Nodi, une autre entité immobilière de la famille Mulliez – propriétaire du groupe de distribution –, ce qui permettrait de remettre au service des magasins Auchan une structure qui s’était égarée sur des projets comme Europacity, et de réorganiser en douceur son organigramme.

Après des pertes de près de 1 milliard d’euros en 2018, Auchan a mis en place en 2019 un ultime plan de relance pour revenir dans le jeu économique. Victime d’une stagnation de la consommation, de l’arrivée de nouveaux concurrents et du poids de ses hypermarchés, le groupe a mis trop de temps à s’adapter au changement de comportement des consommateurs.

« Actuellement la grande distribution fonctionne avec les codes des années 1980-1990 (société de consommation, équipement des ménages, hypermarchés), alors que la société est confrontée à plusieurs transitions : digitale, avec l’arrivée de nouvelles technologies ; alimentaire, avec une plus grande demande de produits sans additifs ; écologique (suppression du plastique, impact carbone…) ; et économique, car tout le monde n’est pas prêt à payer pour un produit de meilleure qualité, explique-t-on au sein de l’entreprise. Cela nous contraint à revoir notre façon de travailler et faire évoluer nos métiers. »

En France, Auchan se préparerait donc à tailler dans le cœur de l’entreprise, après plusieurs coupes ces dernières années. Elle a annoncé, le 30 avril 2019, se séparer de vingt et un sites (supermarchés, hypermarchés, drive…) dans lesquels travaillaient entre 700 et 800 salariés. Des discussions sont toujours en cours, mais dix magasins ont déjà été cédés avec leurs employés, et moins d’une dizaine fermés. Environ 400 personnes ont pris le plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) associé, négocié avec les syndicats. Précédemment, des réorganisations internes avaient débouché sur la suppression de 450 postes en deux ans (2017 et 2018) aux achats et dans les fonctions administratives.

Un secteur menacé

Au-delà d’Auchan, c’est en fait tout l’emploi dans le secteur des biens de consommation qui est menacé. Sur les 1,8 million de personnes qui travaillent dans le commerce de détail, près de 1 million sont employés dans la grande distribution, dont 632 957 dans la grande distribution alimentaire en 2018, selon l’Observatoire prospectif du commerce. Les profils : 82 % d’employés et d’ouvriers, 35 % de 45 ans et plus. Age moyen : 38 ans.

Après cinq ans de hausse, « il y a eu un point d’inflexion en 2018, avec une légère baisse des emplois dans la grande distribution alimentaire (– 0,2 % sur un an), constate Jacques Creyssel, délégué général de la Fédération du commerce et de la distribution (FCD). Même sur le total du commerce de détail, on est arrivé à un pic, cela ne progresse plus ».

Et pas d’éclaircie en vue, à cause « des progrès technologiques mais aussi d’une concurrence sur les frais de fonctionnement face à des e-commerçants comme Amazon, qui ont des coûts très inférieurs ».

Le rythme de ce déclin dépendra de l’évolution du marché. « Depuis la crise de 2008, la consommation en biens est assez plate, et la concurrence s’accroît avec de nouvelles formes de restauration à domicile où les modèles de coûts sont très faibles », explique-t-il. Et les variables d’ajustement ne sont pas bien nombreuses : « Il y a le prix d’achat des produits, et les frais de fonctionnement des magasins et des entrepôts. »

« On sait que les emplois vont changer »

L’une des réponses des grandes surfaces à cette crise de la consommation a été de faire diminuer, voire disparaître, de nombreux rayons de produits non alimentaires en les remplaçant par des stands gérés par d’autres enseignes, souvent du même groupe (CDiscount chez Casino, Cultura et Electro dépôt chez Auchan, Darty chez Carrefour…). Avec à la clé, des conséquences sur les emplois.

« Lors de l’installation d’Electro dépôt (électroménager, multimédia) dans le magasin Auchan de Bagnolet [Seine-Saint-Denis] en octobre 2019, les employés du rayon se sont vus proposer l’emploi qu’ils occupaient mais payé 300 euros de moins par Electro dépôt, ou de postuler chez Boulanger – une autre enseigne du groupe – ou de partir dans un autre rayon du magasin. Certains sont passés au rayon puériculture », explique un salarié.

« On sait que les emplois vont changer », ajoute M. Creyssel. Il estime que « la capacité des magasins à résister va dépendre de leur aptitude à se moderniser et à offrir de nouveaux services. Cela implique des emplois déplacés, que ce soit vers la réparation de vélos dans un magasin de sport à la création de pièces de rechange en 3D dans une grande surface jusqu’à la fabrication de sushis. Il faudra faire de la formation et se poser la question pour ceux qui n’ont pas la possibilité d’évoluer vers des métiers plus qualifiés ».

Les difficultés de la distribution, et leurs conséquences sur l’emploi, ont commencé à atteindre les fournisseurs, également confrontés à des marchés plus compliqués.

Prochaine étape, les entrepôts ? « Avec les Ocado [qui développent le nouvel entrepôt de Monoprix], les entrepôts automatisés d’Amazon ou d’Alibaba, les enseignes vont vers davantage de livraisons 24 heures sur 24 comme le demande le consommateur, à un coût horaire moindre », constate M. Creyssel. En zone euro, dans les dix prochaines années, 1,5 million d’emplois logistiques devraient être ainsi remplacés par des robots, prédisait une étude du cabinet Roland Berger de 2016. « En France, cela se traduirait par près de 225 000 emplois directs, et presque autant d’indirects détruits en dix ans », expliquait l’étude.

La branche du commerce alimentaire a signé, fin 2018, un accord avec l’Etat dans le cadre du plan d’investissement dans les compétences (PIC), afin qu’il cofinance des études pour cartographier tous les emplois et faire des scénarios d’évolution. D’ici à la fin mars, le cabinet Altedia doit rendre une étude qui permettra de mener des négociations de branche sur l’évolution de l’emploi, voire de mettre en place des passerelles avec d’autres secteurs, assez proches en contact humain avec la grande distribution.