Alimentation Couche-Tard renonce à son OPA sur Carrefour

Rédigé le 16/01/2021

Si le canadien n’a pas encore officialisé sa position, Alain Bouchard, son patron, n’est pas parvenu à convaincre le gouvernement vendredi.



Le distributeur canadien Alimentation Couche-Tard, qui convoitait Carrefour, ne lancera pas d’OPA (offre publique d’achat) sur le groupe français. C’est ce qu’Alain Bouchard, son fondateur, a laissé entendre à Bruno Le Maire, lors d’une rencontre vendredi 15 janvier. Samedi matin, Bloomberg et Reuters confirmaient que le prétendant avait renoncé à racheter l’enseigne tricolore.

À peine trois jours après la révélation des discussions menées en secret entre les deux groupes, le Québécois a tiré les conséquences de l’opposition du gouvernement français. L’opération à 16 milliards d’euros avait également reçu un accueil mitigé sur les marchés : en deux séances, l’action Alimentation Couche-Tard avait cédé plus de 12 %.

Venu défendre son projet à Bercy, M. Bouchard n’est pas parvenu à convaincre le ministre de l’économie et des finances de revenir sur son opposition de principe. Au contraire, l’exposé du Canadien, insistant notamment sur des réductions de coûts nécessaires avec la création d’une centrale d’achats, a conforté M. Le Maire dans son inquiétude face à « un impact sur l’emploi et sur la filière alimentaire française considérable ».

Le matin même, Christiane Lambert, la présidente de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), avait fait part de sa préoccupation au ministre. « Il est bien normal que Carrefour, avec 20 % de la distribution alimentaire en France, soit jugé stratégique », confirme la dirigeante, pour qui le risque serait que l’enseigne devienne un « hub pour l’importation des produits canadiens » si Couche-Tard la rachetait.

« Ça va dans les deux sens »

Après avoir éconduit Couche-Tard, M. Le Maire s’en est expliqué auprès de Pierre Fitzgibbon, le ministre de l’économie du Québec, mécontent de ce blocage. « Lorsque Alstom a racheté il y a quelques mois le fleuron de l’aéronautique québécoise Bombardier », ou quand Airbus s’était implanté au Québec, a expliqué ensuite le ministre québécois à la presse, ces opérations avaient été bien accueillies de ce côté-là de l’Atlantique : « Ça va dans les deux sens », a-t-il prévenu. Un échange était prévu également entre le premier ministre canadien, Justin Trudeau, et Emmanuel Macron.

Après avoir déclaré mercredi 13 janvier qu’il n’était « a priori pas favorable » à l’adossement de Carrefour à un groupe étranger, M. Le Maire s’était montré encore plus ferme vendredi matin sur RMC : « C’est un non courtois », avait-il asséné. Motif : « On ne cède pas un grand distributeur français » alors même que la pandémie montre l’importance de ce secteur. « On était bien contents quand, en mars [2020], lors du premier confinement, nos distributeurs ont joué le jeu et assuré la sécurité d’approvisionnement des Français », a-t-il insisté, indiquant qu’il fallait « tirer les leçons de cette crise sanitaire ».

Depuis le 1er janvier 2020, la distribution de produits agricoles fait partie des activités stratégiques pour lesquelles Bercy peut bloquer d’éventuels investissements émanant d’étrangers, pour peu que ces projets soient jugés contraires à l’intérêt national. « Nous avons l’instrument juridique, j’espère que nous n’aurons pas besoin de l’utiliser », avait prévenu M. Le Maire sur RMC.

Absence de « bonne foi »

« Pour moi, une opposition du ministre sur un projet dont les modalités ne sont même pas connues est parfaitement illégale », assure de son côté l’avocat canadien Pierre-Olivier Savoie, du cabinet Savoie Laporte, qui a participé à la négociation sur l’accord économique et commercial entre l’Union européenne et le Canada signé en 2016. Selon lui, la France doit agir de « bonne foi », ce qu’elle ne fait pas en fermant la porte avant même d’avoir instruit la demande de rachat.

Pour la suite, Couche-Tard pourrait étudier des collaborations avec Carrefour, voire une prise de participation, indique un proche du dossier. La semaine prochaine, M. Le Maire a prévu de recevoir Alexandre Bompard, le PDG du groupe. Si, officiellement, l’approche de Couche-Tard n’était pas sollicitée, elle arrangeait bien les grands actionnaires de Carrefour, Bernard Arnault et la famille Moulin-Houzé, propriétaire des Galeries Lafayette, qui souhaitent sortir du capital. D’où leur dépit.

« Ceux qui critiquent l’interventionnisme de l’Etat sont bien contents de le trouver pour garantir des prêts ou financer le chômage partiel », s’agace-t-on à Bercy. L’interdiction de vendre un grand distributeur français à un étranger apparaît toutefois comme une nouvelle contrainte, qui promet de modifier les équilibres au sein d’un secteur en souffrance.