Les rayons du magasin Action, à Coquelles (Pas-de-Calais), en janvier 2018. PHILIPPE HUGUEN / AFP
Les ventes du rayon droguerie, parfumerie et hygiène dans les hypermarchés reculent depuis quatre ans. Un phénomène qui inquiète les grandes surfaces historiques.
Ils ont déjà perdu la bataille sur les rayons textile, électroménager, électrodomestique, bijouterie face au commerce en ligne et aux enseignes spécialisées. Désormais, les hypermarchés livrent à bas bruit un autre combat dans leurs allées, contre les nouveaux temples des bonnes affaires – Aldi, Lidl, Action, Noz, Normal… –, ces rois du discount ou du déstockage avec leurs rayons remplis de grandes marques (Finish, Colgate, L’Oréal, Ferrero…) à prix cassé. « Les Action, Normal… ont réinventé le hard discount comme l’avaient fait Aldi et Lidl dans les années 1990, et Leclerc dans les années 1960 », reconnaît-on chez Système U.
Bien souvent installées à la périphérie des villes, non loin des grandes surfaces historiques, ces enseignes développent leur réseau de magasins à toute allure. Arrivé en France fin 2012, le néerlandais Action a ouvert, jeudi 28 novembre à Nice, son cinq centième emplacement sur le territoire, quand Carrefour comptabilise 247 hypermarchés et Casino, 122. Le pays est le premier marché d’Action et assure un tiers de son chiffre d’affaires. Depuis son arrivée le 16 août, le danois Normal, pour sa part, en est déjà à sa cinquième ouverture dans l’Hexagone. Il pronostique « davantage de magasins en France dans les années à venir ».
A l’intérieur de ces grandes surfaces se trouvent des articles concurrents ou similaires à ceux des hypermarchés promis « à prix bas et constants ». « Plus de 3 000 produits dans les produits ménagers, les cosmétiques, des boissons… » pour Normal. Chez Action, 6 000 sont référencés dans quatorze rayons (bricolage, jouets…). C’est certes sans commune mesure avec le choix des 20 000 à 80 000 produits d’un hypermarché. Néanmoins, on recense « 2 000 produits à moins de 1 euro et 150 nouveautés chaque semaine, précise Wouter De Backer, le directeur général en France d’Action. L’assortiment étant évolutif, les clients savent qu’il faut acheter tout de suite sinon il n’y en aura plus, ce qui est différent d’un supermarché classique ».
Difficile de rivaliser en matière de prix
Ce qui inquiète surtout les grandes surfaces historiques, c’est que, sous des dehors de chasse au trésor, les consommateurs finissent par remplir leur panier de produits du quotidien qu’ils n’achèteront plus dans leurs lieux de courses habituels. Et le rayon le plus à risque est celui de la droguerie-parfumerie-hygiène – celui que les professionnels appellent « le DPH » : lessive, gels douche, mouchoirs, produits d’entretien, déjà malmenés par la mode des produits fait maison, la méfiance des consommateurs envers les composants chimiques et, bien sûr, les contraintes budgétaires.
« Depuis quatre ans, on constate un basculement de nos ventes en magasin sur la catégorie DPH », déplore le patron d’un grand groupe de distribution alimentaire. « Quand un Action s’installe sur la même zone de chalandise qu’un de nos magasins, on constate un impact immédiat sur les ventes de son rayon DPH », admet-on chez Système U. Les ventes de ce rayon spécifique dans les hypers ont reculé de 2,4 % en volume et 1,4 % en valeur depuis le début de l’année, soit une quatrième année de baisse d’affilée, selon les données de l’institut IRI.
Difficile, selon les distributeurs historiques, de rivaliser en matière de prix avec les nouveaux discounters, qui disposent de sources d’approvisionnement plus opportunistes : déstockage de grandes marques, grossistes… De leur côté, les grandes surfaces conventionnelles négocient à date fixe avec leurs fournisseurs prix et quantités pour l’année.
Historiquement, ce contournement des règles a eu lieu dans le secteur des boissons : « Des intermédiaires de la distribution de boisson nous commandaient plus de quantités qu’ils ne vendaient auprès des brasseries et restaurants pour en revendre une partie auprès des supermarchés. On retrouvait de la marchandise par exemple chez Leclerc », raconte un ancien brasseur.
« S’approvisionner sur le marché parallèle, on l’a tous fait un peu aussi, souligne le PDG d’une chaîne de grandes surfaces. On pouvait acheter des détergents à 50 % de leur prix sur le marché parallèle en Pologne, aux Pays-Bas et en Belgique, où nos fournisseurs écoulent les excédents de stocks. Mais les industriels ont commencé à nous dire de ne pas le faire. On tente de résister, mais c’est difficile. »
Les discounters veulent fidéliser leur clientèle
Avec ses 350 grandes marques (Coca-Cola, Cajoline, Le Petit Marseillais, Bic, Haribo, Pampers, Vanish...), Action déclare acheter « ses produits auprès de fournisseurs de marque, de grossistes ou par importation directe auprès des usines » et ne cache pas « une volonté de développer les marques nationales propres au marché français pour augmenter le trafic en magasin », explique M. De Backer. Avec une puissance de négociation reposant « sur 1 500 magasins, poursuit-il. Et si [à l’achat], on n’est pas les moins chers, on peut toujours s’abstenir de vendre certaines marques, car nos clients savent que l’assortiment change, ce qui n’est pas possible pour un hypermarché où les gens sont habitués à le trouver ».
« Les industriels dénoncent la guerre des prix entre les distributeurs, mais ils offrent des conditions plus intéressantes à Action, s’insurge un distributeur. Sans compter que certains ont des innovations avant nous comme les Kinder Cards de Ferrero [des nouveaux biscuits], déjà en vente chez Normal à Paris alors qu’on nous a dit que le produit serait lancé en 2020. Ce n’est pas le meilleur moyen de calmer les esprits ».
Les braises ne sont pas près de s’éteindre, car ces nouveaux rois du bon plan cherchent à fidéliser leurs clients avec de plus en plus de produits permanents. « Avant, lorsque l’on modifiait un emballage ou un produit, on allait les voir pour écouler les dernières palettes d’anciens produits qui nous restaient, explique Patrick David, président de l’activité entretien de la maison du groupe Mapa Spontex. Aujourd’hui, les anciens soldeurs structurent leur offre. Ils ne sont plus en train d’acheter des fins de série, mais ils ont des assortiments permanents sur les produits d’entretien. Ce sont de nouvelles opportunités de distribution de nos marques ».